Sa silhouette flotte au milieu de la manade de chevaux, se confond dans le brouillard de la poussière soulevée par les trépignements, se mêle à leurs crinières folles, leurs hennissements, leurs museaux fumants, leur sueur puissante et ronde. D’un coup d’œil éclair le gaucho argentin jauge le terrain, reconnaît le chef de horde, serre le lasso dans ses doigts musclés, puis s’arrête net : comme transi par la beauté fauve du cheval. Cet instant de liberté totale dans l’immensité de la pampa, dont il connaît trop bien l’intensité, la valeur. Ce goût salé-sucré enivrant que ses ancêtres, venus de la province ibérique au XIXème siècle –ils se sont souvent métissés par la suite avec les populations indigènes locales-, sont venus chercher ici. Dans ces contrées extrêmes de l’Amérique du Sud.
Le gaucho vient de tout cela : de cette époque, pas si lointaine, où les pionniers étaient capables de s’adapter aux climats les plus hostiles pour dompter les immenses espaces vierges et sauvages, où ils allaient prospérer, survivre. Avaient-ils le choix ? Le fait est que ces conditions de vie ont, à travers les siècles, conféré au gaucho un caractère légendaire : à la fois libre et défenseur des questions d’honneur, solitaire et rebelle, nomade dans l’âme, marginal et taciturne, intuitif et alerte. Forgé par la terre dont il connaît les moindres contours ; dont il sait où se cachent les gouffres où se glissent les silences.