Facettes du désert
Explorateurs, globe-trotters, savants… ils furent nombreux à braver ses rigueurs, à admirer sa beauté graphique, à découvrir les peuples qui le sillonnent, qui l’aiment et lui résistent. C’est le Sahara aux mille visages que vous dévoilent les photographes de GEO.
Au début fut Ibn-Battûta, le père de tous les inspirés. Poète et voyageur, sa lignée va jusqu’à tous ceux que le désert a enchantés – Isabelle Eberhardt, Wilfred Thesiger, Antoine de Saint-Exupéry… – avec ses dunes aux couleurs changeantes où tout n’est que douceur et rondeur, le jeu de ses ombres, l’infini minéral. Le désert les a émus, enivrés de solitude et de silence.
Puis vinrent les explorateurs, les géographes, les archéologues, les botanistes. Le Père de Foucauld, T.E. Lawrence, Henri Lhote, Théodore Monod… Les expéditions décimées par les fièvres, les découvertes de pistes mythiques et de pousses inconnues. La soif boursoufle leur gorge, ils rampent d’épuisement, mais tous comprennent que cette terre cruelle est capable de les fasciner bien plus que des zones plus clémentes. Ils ont été les premiers à saisir que le désert est bien loin d’être désert.
Car il grouille de vie : d’après le naturaliste saharien Michel Le Berre, il compte 30 espèces de poissons, 100 de reptiles, 250 de mammifères et d’innombrables oiseaux qui inventent des mécanismes géniaux pour s’adapter à ce milieu auquel ils sont étrangers…
tout comme peuvent l’être les humains nomades, qui le parcourent depuis des siècles, les Touaregs. Ce peuple de seigneurs vêtus de bleu indigo, sait sa culture en danger, même s’il parvient encore à transmettre les valeurs ancestrales aux jeunes générations. Les 1,5 million d’individus qui le composent sont dispersés sur les territoires de cinq États : l’Algérie, la Libye, le Burkina Faso, le Niger et le Mali. Ils symbolisent le combat contre l’aridité des sols due à la diminution constante des précipitations et à l’augmentation des températures. Tous les jours, ils assistent à la disparition du cheptel, à la sédentarisation en lisière des grandes villes, aux émigrations désespérées des jeunes vers la Libye et l’Europe. Leur marginalisation économique et politique a poussé certains à une lutte armée au début des années 90.
Pour les Touaregs, le désert n’est pas seulement « beau ». C’est avant tout un sol dur, parsemé de pierres coupantes, brûlantes. C’est le sel que l’on en extrait à la force des bras, qui ronge les mains et sillonne les visages. C’est le sable que le vent soulève pour recouvrir les plantations d’acacias, engloutir les maisons, tenter d’assassiner les quelques cuvettes qui restent. Des blessures vertes au milieu de l’immensité ocre.
Cristina L’Homme
Un grain de sable parmi les grains de sable
A l’œil qui prend quelque recul pour mieux embrasser la beauté du spectacle, le désert révèle, vu d’en haut, ses trésors les mieux cachés. L’espace immense se structure en contrastes, en lignes de force : c’est un rocher que le vent sculpte, un lac ou une île verdoyante au milieu du sable, des otaries qui se jettent dans l’océan quand le sable du désert lèche l’écume des vagues.
A l’heure où le soleil caresse les dunes, le parapente motorisé survole l’invisible et le photographe fige l’indicible. Voici le lieu du monde où tout peut devenir image. Où l’espace est un enfant du temps qui s’étire, où l’éternité se loge dans le rugissement des dunes – elles peuvent aussi couiner, mugir et envoûter. Où la hauteur n’est plus distance mais fusion.
Après avoir humé ce décor, nul homme ne peut demeurer le même. Il portera à jamais en lui le besoin profond d’y retourner.
George Steinmetz survole le continent africain depuis 13 ans, après l’avoir parcouru à pied et en auto-stop pendant 28 mois juste après la fin de ses études de Géophysique à l’université de Stanford (Etats-Unis). Né à Beverly Hills en 1957, ce photographe a découvert en 1997, qu’en s’attachant à un parapente motorisé, il pouvait mieux s’approcher des endroits habituellement inaccessibles et même des caravanes, ou monter très haut pour les considérer avec du recul. Il est l’auteur de 18 projets majeurs pour le National Geographic et 25 reportages pour l’édition allemande de Géo.
Les fils du vent
Touaregs est le nom donné par les Arabes aux hommes bleus. Il signifie « abandonnés de dieu ». Le peuple nomade lui préfère Imajaghan, qui veut dire « nobles et libres ». Mais ils sont aussi accueillants et généreux – ce sont chez eux des qualités légendaires. Sans oublier leur attachement à la tradition qui leur vaut d’être comparés aux acacias : leurs racines sont profondément ancrées dans les sables du désert.
A qui veut les connaître, les Touaregs ouvrent leur cœur. Eux qui vivent au rythme du cosmos, ils ont sur le monde un regard qui nous déroute. Leurs possessions se limitent le plus souvent à quelques chameaux, selles, fusils, poignards, vêtements et couvertures, plus quelques outres et ustensiles de cuisine. Pourtant, alors que tout semble vous éloigner d’eux, activité, mode de vie, rapport au milieu, la complicité avec ces nomades peut devenir extrême. Ils ne vous demanderont ni d’où vous venez, ni où vous allez, et votre métier les intéresse encore moins. Ce qui compte pour eux, c’est que vous soyez là.
Mais attention à bien se rappeler que si la vie dans le désert est dure, pour eux qui y sont accoutumés, pour un étranger elle peut être terrible.
Enfant du désert, Jean-Luc Manaud est né en 1948 dans le Sud tunisien d’où il est parti à l’aube de l’adolescent, à 14 ans. Photo-reporter depuis 1977, il sillonne le Sahara depuis plus de vingt ans, de la Mauritanie au Tchad en passant par le Niger, le Mali, le Sud-algérien. Diffusé par l’agence Rapho, il a publié, notamment : « Le Désert nu, un marcheur au Sahara » (Chêne, 2000), « Instants du désert » (Chêne, 2002), « Isabelle Eberhardt et le rêve du désert » (Chêne, 2004), « Tombouctou : réalité d’un mythe » (Arthaud, 2006) et « Chroniques sahariennes » (Chêne, 2006). Ses photos paraissent dans les plus grands magazines internationaux, dont Géo, Figaro Magazine, VSD…
Princes du désert
Le battement de cœur qui irrigue le temps de leur vie, c’est l’alternance des saisons, où les pluies sont attendues, où les récoltes ou les pâturages apparaissent puis disparaissent : c’est le sable qu’on arrête ou qui avance. Et leur force – si nécessaire à ceux qui veulent survivre dans cet univers qu’il faut dominer de tout son être – fait d’eux des figures hiératiques et grandioses, des princes, des émirs du désert.
Tous, sans exception. Les pauvres – et ce mot demanderait qu’on invente un superlatif quand il décrit le fond de la pauvreté, de la déshérence – affichent une dignité que de plus riches, ailleurs, ont oublié d’apprendre à épeler. C’est qu’eux sont plus près de l’essentiel : le pâturage, le bois, l’eau, voilà ce qui absorbe l’âme du Sahelien. Un choix ? Non. C’est le désert qui en a décidé ainsi. Et pour un nomade comme pour un sédentaire, un Touareg, un Peul Wadabé, un Songhaï ou un Arabe… c’est la même histoire. Résister au désert, le cultiver, chercher l’eau, tout en préservant la beauté du rituel, la magie de la tradition. Tel est le riche défi de ces mille et un visages d’Afrique.
Laurent Monlaü s’aventure dans la photographie en 1977 avec un reportage londonien sur les Punks. Il travaille l’art du portrait à partir des années 80, dans le milieu du théâtre et du cinéma. Membre de l’agence Rapho depuis 1994 il est représenté par Interlinks image et publie régulièrement dans la presse magazine en France et à l’étranger. Premier prix au World Press en 1996, il publie un livre : « Maures » (Editions Marval, 1998). En 1997, il a entrepris une traversée de l’Afrique saharienne : « Le voyage en Afrique » (éditions Marval 2002). Depuis, il a réalisé, entre autres, un récit documentaire sur les backstage de Las Vegas et un travail photographique sur la forêt.
La guerre contre les dunes
Il était une fois un village-oasis, en plein cœur du Sahel. L’eau y abondait, des arbres s’y dressaient qui fournissaient ombre et bois de chauffe, sur les pâturages s’égaillaient zébus, vaches et chèvres. On y vivait heureux. Mais un matin, le désert décida d’attaquer : une langue jaune sur la plaine verte. La température s’était mise à grimper (de 1976 à 2000, elle gagnait entre 0,5 à 2°C, alors que le reste de la planète se réchauffait de 0,45°C), les pluies diminuaient (de 5 à 10%), le vent chaud – l’harmattan – soufflait en forcené.
Très vite, les villageois comprirent qu’il leur fallait organiser la résistance. D’abord à l’aide de seaux et des pelles, puis en alignant des rideaux d’acacias et en dressant des murs de pierres. Mais le sable, voleur malicieux, s’insinue partout. Portes cadenassées, fenêtres closes, rien ne lui résiste. Ce vorace engloutit tout : les puits, les plantations céréalières, le bétail, le bois, les maisons… les hommes. En 10 ans, de 1995 à 2005, le Sahara a avalé 400 000 km2 de terres arables, au moment même où le Niger comptait le double de bouches à nourrir. Et même si la vie résiste autour des quatre cents cuvettes, les dunes n’attendent qu’un signe du vent pour l’en chasser. D’après l’ONU, d’ici à 2020, 60 millions de Sahéliens affamés pourraient fuir leurs régions.
Né en 1955 en France, Pascal Maitre est de ces photo-reporters engagés, qui racontent les drames humains à travers le monde. Plus de quarante pays d’Afrique ont vu passer sa silhouette discrète. Sans oublier Madagascar, l’Afghanistan, la Russie, la Chine, la Syrie, la Jordanie, le Liban du Hezbollah, le Brésil violent, la Colombie de la guérilla, l’Ecuateur et son réveil indien… Distribué par l’agence Cosmos, co-fondateur de Odyssey Images (1989), il à publié « Mon Afrique » (éditions Aperture aux USA, Géo en Allemagne et Vents de Sable en France), expose partout dans le monde, et ses reportages sont parues dans Géo, National Geographic Magazine aux Etats-Unis, Géo-Allemagne, l’Express…
Ensemencer le désert
Jamais ils ne donnent – pour parler de la profondeur de leur puits – un chiffre rond : ils disent 15,08 m ou 23,05 m, et les décimaux symbolisent la bataille qu’ils livrent, centimètre par centimètre, jour après jour, pour la vie, contre la détresse.
« Non, le désert n’est pas fatalement une étendue de sècheresse, ni un espace stérile, encore moins un no-man’s land… Il peut devenir humide » nous disent ces visages dont les regards ne cherchent pas le nord et ne rêvent pas d’Europe. Voilà bien longtemps qu’elle ne les accueille plus, d’ailleurs. Non, on se tient au désert pour s’y attaquer et y vivre. Car le Sahara peut nourrir l’homme, les animaux et même… se transformer en jardin !
Mais l’Eden lui-même se cultive, et pour cela il faut creuser. Creuser le rocher pour accéder à l’eau. Creuser le sable pour y semer les pousses. Recommencer à creuser lorsque les criquets viennent dévaster les plantations ou les fourmis dévorer les pousses. Valeureux, appliqués, constants, la face et les mains cuirassées par la fournaise, ils savent, et c’est inscrit dans leur peau, que « celui qui attend l’eau du ciel mourra de soif ».
Bruno Hadjih est né en Kabylie (Algérie) en 1954. Des études de sociologie, de cinéma, d’anthropologie, il photographie les mutations des peuples musulmans, leur manière de s’adapter au monde moderne tout en conservant leur identité. Depuis 15 ans, il explore le soufisme. Il a publié : « Avoir 20 ans à Alger », (éditions Alternatives, 2001) et a exposé à Paris, à Séville, Barcelone, Copenhague, Bruxelles, San Francisco, Tel Aviv, Alger, Fès. Depuis 2006, il travaille sur l’environnement saharien.